Rédigé par Alain de Ruffray
Le voyageur qui traverse l’agréable bourg de La Rochebeaucourt, en direction de Ribérac, peut voir, à sa gauche, une maison haute ayant plusieurs vastes marches pour y accéder et les fenêtres les plus hautes sont surmontées par des linteaux sculptés représentant des coquilles Saint Jacques et l’intérieur de cette grande maison fait apparaître un vaste escalier tournant en pierre et une vaste cave voûtée : pour moi, il ne fait pas de doute que c’était une auberge sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle car nous sommes sur le tracé de la voie romaine Saintes / Périgueux, autrement dire Saintes / Rome sur laquelle se greffe, depuis Edon jusqu’à la sortie de La Rochebeaucourt, la voie romaine Bretagne / Espagne .
Il faut savoir qu’il n’était pas permis de franchir un gué la nuit or le pont de La Rochebeaucourt ne date que de 1844 : on peut penser que bon nombre de voyageurs, sur cette voie très fréquentée au Moyen-Age, étaient contraints de faire escale à cette vaste auberge !
Cette petite présentation est utile pour en venir à la MAISON DU CHAPITRE qui se situe dans le tournant, aussitôt passé cette auberge, mais sur le côté opposé, on la remarque très facilement car elle fait un très net rétrécissement de la rue à cet endroit .
J’ai dit que La Rochebeaucourt est traversée par deux voies romaines réunies en un tronc commun : c’étaient les autoroutes de l’époque et ce bourg se trouvant à la rencontre de deux types géologiques : vers Rougnac, le sol se prêtait bien à l’élevage alors que vers Ribérac, c’était plutôt la culture des céréales qui nécessitaient des attelages de bœufs, cette situation géographique était très favorable aux échanges et il y avait là des foires très importantes connues depuis l’antiquité .
On remarque que ce bourg est limité d’un côté par la rivière, la Nizonne, qui forme une grande courbe et à l’opposé, la » Rue des Fossés » va de la rivière, près de la route de Mareuil, jusqu’à la rivière en direction de Ribérac, en formant une courbe pour ceinturer le bourg : comme son nom l’indique, cette » Rue des Fossés était une fortification gauloise et la ville comptait trois portes : l’une a totalement disparu, elle était sur le tracé de la Rue des Fossés entre l’église et l’école actuelle ; la deuxième était la boucherie actuelle, juste à côté du pont, c’est-à-dire près du gué de l’époque et actuellement, il ne reste plus de cette porte que l’escalier tournant, en pierre, à l’intérieur, vestige d’une tour de l’époque .
J’en viens à la Maison du Chapitre : C’était la troisième porte de la ville, située sur la route de Ribérac et sur le tracé de la Rue des Fossés , comme de bien entendu . C’était une bâtisse imposante flanquée de trois tours dont une tour d’escalier avec un vaste escalier tournant en pierre, comme on en trouve dans tous les châteaux de la région . Une autre tour, côté opposé à la rue, a été démantelée car elle menaçait ruine , mais la troisième existe toujours, mais à une époque il y a eu un impôt assez lourd sur les tours alors beaucoup de châtelains ont préféré tronquer leurs tours au niveau des toitures voisines pour faire l’économie de ces impôts et c’est ce qui est arrivé à la porte de la ville de La Rochebeaucourt, comme d’ailleurs au petit Prieuré des Martres dont la tour d’escalier a été tronquée .
Par la suite, au Moyen-Age, la porte de la ville est devenue la MAISON DU CHAPITRE et selon les époques, il y a eu entre 7 et 35 chanoines ! les stalles dans le chœur de l’église de La Rochebeaucouert témoignent de la présence de chanoines dans cette petite ville.
Ces chanoines vivaient du passage des pèlerins qui allaient à Saint Jacques de Compostelle ou en revenaient et n’étaient pas assez fortunés pour se payer l’auberge voisine ! Mais il y avait une concurrente très importante : la communauté d’Argentine, de l’ordre de Cluny et la concurrence était si dure que ces deux communautés en étaient venues à se quereller au point que le Pape Anastase IV, en 1153, est venu pour y mettre de l’ordre !
Venant de visiter une petite communauté à Soudat, près de Varaignes, le Pape, au pas de sa mule, vient à La Rochebeaucourt et se fait héberger par les chanoines car il est issu de l’ordre de Cluny et ne veut pas être soupçonné de favoriser son ordre, sis à Argentine ; mais au bout de huit jours, les chanoines irascibles jettent le Pape dehors : ce dernier est contraint d’aller chercher refuge dans une autre petite communauté, à Mareuil ( à présent la boucherie Bordas ) mais le travail de pacification n’aboutissant pas, le Pape donne mission aux évêques de Limoges et de Saintes de mettre cette affaire en ordre , mais ils n’ont pas pu y arriver ! Le Pape, lui, avait repris sa mule pour aller visiter les templiers de Porcheresse, près de Blanzac, puis était allé à Bordeaux .
Par la suite, la Maison du Chapitre a été la résidence secondaire de Paul Déroulède : cet homme politique, né à Paris en 1846, a passé une bonne partie de sa jeunesse à Langély, près de Gurat, en Charente et au moment de la guerre de 1870, il se promenait paisiblement dans la campagne près de Paris, en compagnie d’une jeune fille : c’est alors qu’un paysan l’aborde et lui dit : » Monsieur, vous venez de la Ville, vous pouvez me donner des nouvelles de la guerre ! » mais Paul Déroulède lui répond : » Oh moi, la guerre ne m’intéresse pas du tout ! » ce qui lui vaut cette répartie cinglante : » Bien sûr, vous, vous avez assez d’argent pour payer pour que ce soient nos enfants qui aillent faire la guerre à votre place ! » cette réflexion a eu le mérite de lui ouvrir les yeux et de ce jour, il s’est lancé dans la politique, est devenu député et s’est fait connaître comme nationaliste, il a composé des chants patriotiques qu’on apprenait à l’école du temps de mon enfance, et il faisait des meetings à travers la France pour inciter les français à se sacrifier pour la Patrie : c’est comme ça qu’on l’a vu à la sortie de la fonderie de Ruelle, accroché à la grille, haranguant les ouvriers !
Peu avant la guerre de 1914, la maison du chapitre est devenue propriété de mon grand oncle Joseph de Ruffray et mon père ainsi que son frère y allaient assez souvent : c’est comme ça que le frère de mon père avait fait une narration, lorsqu’il était collégien à St Paul d’Angoulême, il avait raconté que la salle à manger de son oncle étant juste au dessus de l’écurie, le cheval s’irritait d’entendre les rires à la salle à manger, alors il marquait son irritation en envoyant une violente ruade dans le plancher, ce qui faisait sauter les verres qui étaient sur la table et redoublait l’hilarité des convives ! à la remise des copies, mon oncle a été fort dépité de lire l’avis du professeur : » bon travail, mais il faudrait rester dans le vraisemblable ! » : pourtant, ce n’était que l’exacte vérité !
Lorsque j’étais gamin, mes tantes avaient autorisé un brave vieux à loger dans une mauvaise roulotte de gitan, à l’ombre d’un marronnier, dans leur cour ; le pauvre vieux était totalement sourd et, assis sur la marche de sa roulotte, il faisait sa popote sur un petit brasero ; c’était l’automne et les marrons descendaient du haut de l’arbre et tombaient sur le chapeau du vieux et sur les tôles qui constituaient la toiture de la roulotte : c’était un bombardement continuel et assourdissant mais le pauvre vieux restait imperturbable, puis, après son déjeuner, il entrait dans sa roulotte pour y faire la sieste ! cette scène me provoquait des crises de rire irrépressibles ! le calme stoïque de ce pauvre vieux sous ce bombardement incessant et dans un bruit assourdissant !
Alain de Ruffray